En mots, en notes, en marbre et en couleurs : des portraits de femmes au XVIIIe siècle

J’ai eu le plaisir de donner, les 8 et 9 septembre, des visites chantées au musée Cognacq-Jay dans le cadre du festival des Traversées du Marais. J’ai conçu ce billet comme une sorte de contrepoint à ces visites. En partant d’une œuvre du musée, un portrait de la marquise de Pompadour d’après Boucher, je vous propose une réflexion personnelle sur les portraits de femmes au XVIIIe siècle. Des portraits en mots, en notes, en marbre et en couleurs.

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Visite chantée au musée Cognacq-Jay, samedi 8 septembre 2018

Ce portrait de la marquise de Pompadour, la favorite de Louis XV, est en réalité un pastiche du XIXe siècle d’après François Boucher. L’artiste, anonyme, s’est inspiré de plusieurs œuvres du maître pour composer son tableau.

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Portrait de Madame de Pompadour, anonyme (école française) d’après Boucher, XIXe siècle, musée Cognacq-Jay

Sa source principale est, sans conteste, le portrait de Madame de Pompadour par Boucher conservé au Victoria and Albert Museum de Londres.

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Portrait de Madame de Pompadour, François Boucher, 1758, Victoria and Albert Museum (Londres)

Le décolleté, quant à lui, rappelle celui d’une œuvre de l’Alte Pinakothek de Munich.

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Portrait de Madame de Pompadour, François Boucher, 1756, Alte Pinakothek (Munich)

Le petit chien semble emprunté à un troisième portrait de la Pompadour par Boucher (Wallace Collection, Londres).

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Portrait de Madame de Pompadour, François Boucher, 1759, Wallace Collection (Londres)

Madame de Pompadour, grande protectrice des artistes et des hommes de lettres, appréciait beaucoup la musique. Elle jouait du clavecin, de la guitare, chantait et organisait même des représentations d’opéras dans son Théâtre des Petits-Appartements à Versailles. Jeanne-Antoinette avait eu la grande chance d’étudier auprès de Pierre de Jélyotte, sans doute le plus célèbre chanteur français du XVIIIe siècle. C’est pour lui que Jean-Philippe Rameau a composé ses principaux rôles de haute-contre (tessiture de ténor léger typique de la musique baroque française) !

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Portrait de Pierre de Jélyotte, Louis-Jacques Cathelin d’après Louis Tocqué, estampe, BnF via Gallica
Passionnée de musique, La Pompadour n’hésitait pas à monter sur scène pour chanter : elle a même interprété, en mars 1753, un rôle d’homme, Colin, dans le Devin du village, un opéra de Jean-Jacques Rousseau. Ce rôle avait été créé quelques mois plus tôt par Jélyotte.

Autre anecdote concernant le Devin du village : la chanteuse Marie Fel, créatrice du rôle (c’est-à-dire première interprète) de Colette, l’amoureuse de Colin – comme son nom l’indique -, a entretenu une longue relation amoureuse avec le célèbre pastelliste Maurice Quentin de La Tour. Ce dernier a réalisé au moins trois portraits de son amie (dont un a disparu). Dans un de ces portraits (collection particulière), on distingue, derrière la chanteuse, un grand in-folio sur lequel on peut reconnaître la partition d’une cantatille intitulée Les yeux de l’amour.

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Portrait de Marie Fel, Maurice Quentin de La Tour, c. 1752-1753, collection particulière
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Détail de la partition

Le compositeur de cette pièce n’est autre qu’Antoine Fel, le frère de Marie Fel ici représentée ! Ajoutons que le fort écho formel entre cupidon et Marie Fel tenant tous deux entre l’index et le majeur un objet, respectivement une flèche et un porte-crayon, est également une évocation assez claire des sentiments du peintre pour la chanteuse.

Clin d’oeil à l’intérêt de Madame de Pompadour pour la musique, c’est une Leçon de musique qui fait face à son portrait dans la salle du musée Cognacq-Jay. Ce tableau est attribué à Boucher, mais les spécialistes semblent s’accorder à dire que la signature, tout comme la date également inscrite, sont fausses. Ce détail ne permet pas pour autant d’affirmer que l’œuvre n’est pas de Boucher, ni qu’elle date d’une autre période… Bref, aussi intéressante que soit cette question, elle nous éloigne du sujet de ce billet !

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La Leçon de musique, attribué à François Boucher, XVIIIe, musée Cognacq-Jay
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Détail de la fausse signature

La figure féminine est en train de chanter accompagnée par son professeur. Comme souvent dans les nombreuses scènes musicales peintes au XVIIIe siècle, on y peut voir des connotations galantes. Musique et séduction sont intimement liées ! Par ailleurs, il est intéressant de noter que la représentation de guitares reste fréquente tout au long du XVIIIe siècle, en raison, en particulier, de l’influence du peintre Watteau et de ses suiveurs, alors même qu’entre les années 1710 et le dernier tiers du siècle, cet instrument n’est plus vraiment à la mode.

Sans doute partagez-vous la même frustration que moi devant cette œuvre à sujet musical : il n’est pas possible de l’« écouter », ni de savoir quel morceau les figures sont en train de jouer : le peintre n’a pas eu le même soin que Maurice Quentin de La Tour de rendre lisible la partition. En revanche, nous pouvons mettre en rapport ce tableau avec un pièce musicale contemporaine de son exécution.

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Répétition générale de ma visite chantée au musée Cognacq-Jay, lundi 3 septembre 2018

Puisque j’ai commencé ce billet en évoquant Madame de Pompadour, voici une chanson que j’ai interprétée au cours de mes visites chantées du musée Cognacq-Jay et qui parle, précisément, de Jeanne-Antoinette Poisson (son nom de naissance). Le texte, très virulent, prend pour cible la favorite du roi. C’est ce qu’on a appelé une « poissonnade » pour faire écho aux « mazarinades » écrites contre le cardinal de Marazin un siècle plus tôt.

La musique correspondant à cette poissonnade ne nous est, malheureusement, pas parvenue. Qu’à cela ne tienne : il était de coutume au XVIIIe siècle de chanter des paroles sur des « timbres » (c’est-à-dire des airs) connus préexistants. Il suffit donc d’interpréter cette poissonnade sur un air français du XVIIIe siècle que vous connaissez tous…

L’anonymat de ces textes, ces portraits littéraires clandestins, permettait à leurs auteurs d’être extrêmement violents. À l’opposé, dans les portraits peints, dessinés ou sculptés, souvent signés et parfois commandés par la personne portraiturée elle-même, les artistes n’hésitaient pas à ajouter un filtre d’idéalisation.

Lorsque j’ai étudié, dans le cadre de mon mémoire de recherche en Histoire de l’art, les portraits des chanteuses d’opéras du XVIIIe siècle, je suis tombé sur des textes encore plus féroces que cette poissonnade ! Voici ce que l’on pouvait lire sur la chanteuse Sophie Arnould, très célèbre dans le troisième quart du siècle à Paris, dans des publications clandestines :

« Une figure longue et maigre, une vilaine bouche, des dents larges et déchaussées, une peau noire et huileuse. »

L’Espion anglais, ou Correspondance secrète entre milord All’Eye et milord All’Ear

Autre citation, d’une épouvantable violence :

« Vieille serinette cassée,
Cadavre infect, doyenne des putains,
Ô toi dont la gueule édentée vomit à grand flots de venin de ta langue pestiférée
(…)
Son profond et large foyer
Où tout Paris attrapa la vérole. »

Cette dernière satire contre Sophie Arnould a peut-être été commanditée par sa grande rivale, la chanteuse Rosalie Levasseur…

Le musée Cognacq-Jay conserve d’ailleurs une gouache anonyme (école française, vers 1775), la figurant… indirectement.

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La Dessinatrice, anonyme (école française), vers 1775, musée Cognacq-Jay

On y aperçoit, dans le coin supérieur droit, un buste de femme qui rappelle le superbe portrait sculpté de Sophie Arnould dans le rôle d’Iphigénie par Jean-Antoine Houdon.

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Détail du buste
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Buste de Sophie Arnould en Iphigénie, Jean-Antoine Houdon, 1775, Louvre

C’est la chanteuse elle-même qui avait commandé à cet illustre sculpteur ce buste en marbre (conservé de nos jours au musée du Louvre) ainsi que plusieurs dizaines de répliques en plâtre !

Finalement, entre des portraits peints, sculptés ou dessinés idéalisés et des portraits littéraires clandestins très négatifs, il est souvent peu aisé de savoir où se trouve la vérité. D’ailleurs, faut-il croire Jean-Antoine Bérard, lorsqu’il dédie son traité de chant à la marquise de Pompadour en écrivant les mots suivants ?

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Dédicace de L’Art du chant de Jean-Antoine Bérard, 1755, BnF via Gallica

« [Cet ouvrage] a pour but principal, de perfectionner le chant français ; à qui pourrais-je mieux adresser ces réflexions qu’à vous, Madame, qui excellez dans ce genre ; permettez-moi de déclarer ici, que j’ai eu le bonheur de vous entendre, mon éloge ne peut rien ajouter à votre gloire ; mais le public adoptera avec confiance mes idées, sur les grâces du chant, lorsqu’il saura que je les ai formées sur leur plus parfait modèle. »

S’agissant, justement, des portraits de Madame de Pompadour : certains spécialistes, comme l’historienne de l’art américaine Elise Goodman, se demandent même si la favorite n’a pas commandé plusieurs de ses portraits peints avantageux avec l’idée, précisément, de contrecarrer les virulentes poissonnades. Aussi, une nouvelle fois, les mots, les notes et les pinceaux se répondent-ils d’une manière fascinante.

En attendant, je l’espère, la poursuite de ma collaboration avec le musée Cognacq-Jay, je ne saurais trop vous conseiller d’aller le découvrir par vous-même. D’ailleurs, ne ratez pas leur prochaine exposition qui s’annonce passionnante : elle s’intitule « La Fabrique du luxe » et ouvre le 29 septembre !

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Venezia Cinquecento, arte e musica : Tintoret et les autres

Comme je l’avais annoncé, j’ai la joie de donner actuellement des visites chantées de l’exposition Tintoret. Naissance d’un génie au Musée du Luxembourg. Je vous propose, dans ce billet, un contrepoint à ces visites. Pour celles et ceux qui viendront me voir au Musée du Luxembourg, pas de panique, vous pouvez lire les lignes qui suivent : cet article ne divulgâchera (« spoilera », comme on dit en français) pas le contenu de mes prestations, j’ai pris soin de n’y intégrer que des informations complémentaires !

Des peintres musiciens

Ce vibrant autoportrait de Tintoret accueille le visiteur dans la première salle.

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Autoportrait, Tintoret, c. 1546-1548, Philadelphia Museum of Art (États-Unis)

Comme le remarque Roland Krischel, commissaire général de l’exposition Tintoret. Naissance d’un génie, dans le catalogue : « Au milieu de ses cheveux ébouriffés, son oreille musicale est ouverte tel un cornet ». Oui, vous avez bien lu : Jacopo Robusti, dit Tintoret, ce peintre majeur de la Venise du XVIe siècle était lui-même musicien ! Dès la première phrase qu’il consacre à Tintoret, Giorgio Vasari, le plus célèbre historiographe italien de la Renaissance, précise que le peintre « jouait de la musique et de différents instruments ». Un demi-siècle après le décès de l’artiste, Carlo Ridolfi, premier biographe de Tintoret, écrit que le Vénitien jouait du luth mais aussi « d’autres instruments bizarres inventés par lui-même »… Si les sources, concordantes, nous permettent d’affirmer que Tintoret était effectivement musicien et mélomane, ces hypothétiques « instruments bizarres inventés par [Tintoret] » gardent, pour l’instant, tout leur mystère !

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Détail des Noces de Cana, Paolo Caliari, dit Véronèse, 1563, Musée du Louvre

En parlant des talents de musicien de Tintoret, il convient d’évoquer une théorie, tenace mais peu fondée : Le groupe de musiciens, au centre du premier plan des Noces de Cana de Véronèse (1563), représenterait les plus célèbres peintres vénitiens du XVIe siècle, de gauche à droite : Véronèse lui-même avec une viole de gambe ténor, Jacopo Bassano avec un cornet droit, Tintoret avec un violon et Titien avec une basse de viole. En réalité, cette interprétation n’a vu le jour qu’au milieu du XVIIe siècle (donc environ un siècle après l’achèvement du tableau) sous la plume du poète Marco Boschini. Aussi sympathique que soit cette idée, rien ne semble venir la corroborer. Le manque de ressemblance avec les autoportraits de ces peintres tendrait même à prouver le contraire. Qui serait, d’ailleurs, le musicien, omis dans la description de Boschini, entre Véronèse et Bassano ?

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Détail des Noces de Cana, Paolo Caliari, dit Véronèse, 1563

Anecdote amusante concernant le rapport de Titien à la musique, dans une lettre de sa main, datant du 7 avril 1540, Titien propose à l’illustre facteur de clavecin Alessandro dagli Organi (Alessandro Trasuntino de son vrai nom) un échange : le peintre le portraiture et, en retour, il souhaite recevoir un instrument de sa fabrication.

On sait, par ailleurs, que d’autres peintres de la République Sérénissime au XVIe siècle étaient intimement liés à l’art musical : Sebastiano del Piombo était un luthiste de grand talent ; Vasari dit de Giorgione qu’il « chantait si divinement que les personnes de qualité faisaient souvent appel à lui pour des concerts et des fêtes »… La liste des peintres vénitiens musiciens ou mélomanes serait longue !

Une peintre musicienne

Vous l’aurez sans doute remarqué, je n’ai parlé jusqu’à présent que d’artistes hommes. Donnons donc un autre exemple et revenons à Tintoretto… enfin, à la Tintoretta !

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Portrait d’une dame vénitienne, attribué à Marietta Robusti, dite la Tintoretta, Musée du Prado (Madrid)

La Tintoretta, c’est Marietta Robusti, fille et élève de Tintoret. Cette femme portraitiste de l’aristocratie vénitienne, miniaturiste (après son mariage, elle réalise des portraits sertis dans des bijoux fabriqués par son époux joailler), a fait preuve de grandes qualités musicales : il semble qu’elle jouait du clavecin et chantait fort plaisamment. Marietta Robusti avait étudié auprès de, Giulio Zacchino, organiste de l’église San Giorgio Maggiore.

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Autoportrait supposé de Marietta Robusti, dite la Tintoretta, vers 1580, Galerie des Offices (Florence)

On considère généralement cette œuvre comme un autoportrait de la Tintoretta. On y voit ce qui était sans doute son instrument de prédilection, un clavecin. Cela me permet de dire un mot sur la spécificité des clavecins italiens de cette époque par rapport à leurs cousins flamands ou français. Contrairement aux autres pays d’Europe, les clavecins comportaient en Italie, le plus souvent, un seul clavier. En outre, les touches étaient habituellement en buis pour les « marches » (c’est-à-dire, ce qui correspond aux touches blanches d’un piano moderne) et dans un bois sombre (ébène ou bois teinté en noir) pour les « feintes » (les touches noires du piano) : à l’opposé des autres clavecins où les couleurs étaient inversées, le contraste clair/foncé préfigurait donc celui des pianos modernes.

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Grand clavecin vénitien du XVIe siècle (Giovanni Antonio Baffo, vers 1579), Musée de la musique (Paris)
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Clavecin flamand (Ioannes Ruckers, 1612 ?), Musée de la musique (Paris)
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Détail des deux claviers

Pour revenir à l’autoportrait supposé de Marietta Robusti, on y distingue une page d’un madrigal (Madonna per voi ardo) de Philippe Verdelot, compositeur français actif en Italie dans la première moitié du XVIe siècle.

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Détail de l’autoportrait supposé de Marietta Robusti, via Gallica

Faut-il voir un sous-entendu dans le titre de l’œuvre musicale, littéralement « Madame, je brûle pour vous » ? S’il s’agit bien d’un autoportrait de la Tintoretta, le choix de ce madrigal, dont le texte complet loue la « beauté infinie » d’une dame, n’est pas exempt d’un certain narcissisme !

Tintoret : des peintures musicales ?

La représentation d’instruments de musique et de musiciens parcours l’œuvre peint de Tintoret, tout au long de sa carrière. Sur ce point précis, je n’irai pas plus loin dans ce billet : il faudra assister à mes visites chantées au Musée du Luxembourg pour en savoir plus… Néanmoins, il est intéressant de savoir que les liens entre les œuvres picturales de Tintoret et la musique ne se réduisent pas à cet aspect iconographique. En effet, plusieurs créations de Tintoret sont « physiquement » liées à la musique : elles décorent des instruments !

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Présentation de la Vierge au Temple, Tintoret, c. 1556, église Madonna dell’Orto (Venise)

Il ne s’agit pas seulement d’œuvres anecdotiques dans la production de Tintoret. Une huile sur toile majeure dans la carrière du peintre vénitien, réalisée pour l’église de la Madonna dell’Orto, sa Présentation de la Vierge, ornait à l’origine les faces extérieures des deux volets d’un orgue. Mais l’instrument est détruit au XIXe siècle dans le cadre de la « restauration » néogothique de l’église et l’on décide, par la suite, de réunir les deux moitiés de l’œuvre. Notons que c’est d’ailleurs dans cette église, presque sous l’orgue, que seront enterrés Tintoret et sa famille (dont sa fille Marietta, morte prématurément en 1590).

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La Conversion de saint Paul, Tintoret, 1538-1539, National Gallery of Art (Washington)

Certaines toiles de Tintoret se veulent, quant à elles, « sonores ». Parmi les œuvres exposées actuellement au Musée du Luxembourg, c’est le cas de la Conversion de saint Paul. Le chapitre 9 des Actes des Apôtres raconte l’histoire de Saul, persécuteur des premiers chrétiens, devenu saint Paul : « Comme il était en route et approchait de Damas, soudain une lumière venant du ciel l’enveloppa de sa clarté. Il fut précipité à terre ; il entendit une voix qui lui disait : “Saul, Saul, pourquoi me persécuter ?” ». Saul tombe, perd la vue et ne la recouvre que trois jours plus tard, « proclam[ant] Jésus dans les synagogues, affirmant que celui-ci est le Fils de Dieu. » L’instant représenté ici par Tintoret correspond à l’apparition tonitruante de la voix divine. À gauche, le cavalier, assourdi, se tient la tête.

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Détail de la Conversion de saint Paul de Tintoret

Toute la toile semble vibrer, gronder, crier. Dans la notice qu’il consacre à ce tableau, Roland Krischel parle de son « volume sonore ». Il voit également un jeu de mot entre le timpano éclaté du tambour au sol et le timpano (tympan) déchiré des personnes pénétrées par la voix de Dieu.

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Détail de la Conversion de saint Paul de Tintoret

J’ose, pour terminer, une interprétation personnelle : ce n’est, finalement, pas le bruit que Tintoret a voulu traduire ici en peinture, c’est, tout au contraire, le silence, l’absence totale de son d’un Saul devenu sourd. Bien que le texte biblique ne parle que de sa cécité, il s’agirait là de son équivalent auditif (comment, sinon, représenter en image, la cécité, l’absence d’image ?). Tintoret, a fortiori parce qu’il est musicien, n’ignore pas les limites du médium qu’il emploie ici : la peinture est muette. Et c’est le contraste même, le paradoxe, entre la représentation visuelle d’une scène a priori « bruyante » et un art silencieux par essence, qui crée l’illusion d’assourdissement. En d’autres termes, Tintoret, montrant ce qu’il ne peut pas montrer (le son, à plus forte raison la voix de Dieu) ne fait que souligner cette impossibilité. Ce sont les limites mêmes de son art qu’il représente. Le spectateur/auditeur du tableau prend alors la place de la figure qui se bouche les oreilles, du tympan déchiré, de Saul.

Pour conclure, je ne saurais trop vous conseiller de visiter l’exposition Tintoret. Naissance d’un génie au Musée du Luxembourg voire, si j’ai attisé votre curiosité, d’assister à mes visites chantées !

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Ce billet vous a plu ? L’article que j’ai consacré à Rubens, à l’occasion de mes visites chantées de la précédente exposition du Musée du Luxembourg, est toujours disponible ici.

Chantons le square de la tour Saint-Jacques

Suivant le même principe que mes précédents billets, je vous propose aujourd’hui d’évoquer le square de la tour Saint-Jacques, en images, en mots et, cela va sans dire, en musique !

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Le square de la tour Saint-Jacques, Paris

Commençons par rappeler son emplacement. Ce square se situe dans le 4e arrondissement de Paris. Les morceaux suivants nous aident à le circonscrire géographiquement :

  •  Au nord, la rue de Rivoli.

Bon, c’est vrai, les fameuses arcades de la rue de Rivoli ne font leur apparition qu’un peu plus loin, au croisement avec la rue du Louvre.

  •  Au sud, l’avenue Victoria.

Elle prend son nom en 1855 après une visite officielle de la reine Victoria, accueillie lors d’une grande réception à l’Hôtel de Ville. La souveraine se rend à Paris dans le contexte de la guerre de Crimée et de l’Exposition universelle, la première qui se déroule en France après le succès de celle de Londres, 4 ans plus tôt.

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Carte d’invitation à la fête donnée par la Ville de Paris à l’Hôtel de Ville en l’honneur de la reine Victoria et du prince Albert le 23 Août 1855, BnF via Gallica

Elle est enthousiaste, comme en témoigne sa correspondance. Victoria s’adresse ici à Léopold 1er, roi des Belges :

Mon très cher oncle,

Je n’ai pas l’intention de vous envoyer une description ni rien qui y ressemble… Je ne veux que vous donner en quelques mots mon impression. Je suis ravie, enchantée, amusée, intéressée, et je crois que je n’ai jamais rien vu de plus beau ni de plus gai que Paris, ou de plus splendide que tous les Palais. La façon dont nous sommes accueillis est extrêmement flatteuse, car elle est enthousiaste et vraiment aimable au plus haut degré. Le maréchal Magnan, que vous connaissez bien, m’a dit que l’accueil que l’on me fait tous les jours ici est plus splendide et plus enthousiaste qu’aucun de ceux que reçut Napoléon, même au retour de ses victoires ! (…) Nous avons été à l’Exposition de Versailles, qui est splendide et magnifique, et au Grand Opéra, où l’accueil et la manière dont on chanta le « God save the Queen » furent extraordinaires. (…) [E]t ce soir, grand bal à l’Hôtel de Ville. On m’a demandé de donner mon nom à une nouvelle rue que nous avons inaugurée.

La reine Victoria à son oncle Léopold 1er, roi des Belges, Saint-Cloud, 23 août 1855

  • À l’est, la rue Saint-Martin.

Il s’agit de la plus vieille rue de la rive droite car c’est le prolongement du cardo maximus de la Lutèce gallo-romaine. Je m’explique. Les cités de l’Empire romain avaient généralement le même schéma urbanistique : le plan hippodamien (ou hippodaméen), c’est-à-dire un plan quadrillé, en damier, dont le principal axe nord-sud s’appelait le cardo maximus et le principal axe est-ouest, le decumanus maximus. Le cardo étant la rue Saint-Jacques sur la rive gauche, la rue Saint-Martin – son prolongement sur la rive droite -, devient la seule zone de cette rive urbanisée par les Romains (excepté le pôle urbain périphérique religieux et thermal de Montmartre). En effet, la rive droite est alors – et pendant encore de nombreux siècles – très inhospitalière car très marécageuse.

Sautons les siècles tout en restant dans la rue Saint-Martin. Robert Desnos passe son enfance près des Halles où son père travaille. Il vit un temps au numéro 11 de la rue Saint-Martin. Plus tard, en pleine Seconde Guerre mondiale, il écrit les Couplets de la rue Saint-Martin, texte poignant sur l’arrestation, la « disparition » de son ami André Platard, résistant comme lui. Quatre ans après l’écriture du poème et un an après le décès de Robert Desnos, Francis Poulenc met musique les Couplets dans une magnifique mélodie qu’il intitule Le Disparu.

  • À l’ouest, le boulevard Sébastopol.

Il y a bien sûr, Mon Sébasto de Léo Ferré, mais je préfère profiter de ce billet pour faire connaître une chanson probablement moins célèbre : Tout le long du Sébasto. Cette chanson que l’on doit à Jean Lenoir (texte et musique) a été enregistrée par Berthe Sylva en 1934. Cette dernière, quelque peu oubliée de nos jours, est tout de même considérée comme la première vedette de la radio en France (sur Radio Tour Eiffel) et la première chanteuse à accéder à ce statut de « star » grâce à la radio (et au disque) plutôt que par la scène.

Maintenant que l’on connaît sa position géographique, parlons du square de la tour Saint-Jacques. Il ne s’agit pas de n’importe quel square… c’est le premier square créé à Paris ! Ouvert en 1856, il s’inscrit dans le contexte des grandes transformations haussmanniennes de la capitale. Il a été conçu par Jean-Charles Adolphe Alphand, ingénieur responsable du « Service des Promenades de Paris » (à qui l’on doit d’autres réalisations majeures, mais je les garde pour d’autres billets). L’idée principale ? Assainir, embellir, « moderniser » Paris.

Quelques mots sur la tour qui donne son nom au square… commençons en musique avec Jacques Douai !

Cette mystérieuse tour de style gothique flamboyant, qui constitue encore de nos jours le point de départ parisien de la via turonensis vers Saint-Jacques-de-Compostelle, date du premier quart du XVIe siècle. C’est en fait l’ancien clocher de l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Cette dernière est construite au XIIe siècle, plusieurs fois agrandie en raison de l’accroissement démographique de la paroisse, mais finalement détruite en 1797 après avoir été vendue comme bien national. Et que vient faire une boucherie dans le nom d’un lieu de culte ? L’explication est toute simple : l’église Saint-Jacques se trouvait dans le quartier de la Grande Boucherie où travaillaient… les bouchers !

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Église Saint-Jacques-de-la-Boucherie, dessin de Jean-François Garneray, 1784, BnF via Gallica

De cette église, il nous reste également cette estampe sommaire issue de l’Histoire critique de Nicolas Flamel et de Pernelle sa femme d’Etienne-François Villain (1761). Elle nous montre le tympan du portail nord.

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Tympan du portail nord de l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie, estampe issue de l’Histoire critique de Nicolas Flamel et de Pernelle sa femme d’Etienne-François Villain (1761), BnF via Gallica

Voici la description – plus précise que l’estampe – qui en est faite dans cet ouvrage :

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C’est donc l’énigmatique Nicolas Flamel que l’on devine, agenouillé, à la droite de la Vierge. Ce personnage historique bien réel (vers 1330-1418) a acquis, à travers les siècles, l’image mythique d’un alchimiste ayant découvert la pierre philosophale. Cet écrivain public riche et très pieux avait décidé de financer ce nouveau portail sur la façade nord de l’église. Précisons d’ailleurs que celle-ci donnait sur la rue des Ecrivains où habitait Flamel.

Premier « le saviez-vous ? » musical de ce billet : En 1865, Georges Bizet (pour les non-opéraphiles : Bizet, c’est le compositeur de Carmen, la plus célèbre œuvre lyrique française) avait pour projet de créer un opéra consacré à la légende de Nicolas Flamel. Sur un livret d’Ernest Dubreuil, ce projet restera inachevé (peut-être n’a-t-il d’ailleurs pas été véritablement entamé par le compositeur).

Parmi les auteurs qui ont diffusé le mythe d’un Flamel alchimiste, citons Nerval à qui l’on doit un drame inachevé intitulé Nicolas Flamel. Or, il y a dans ce square un monument dédié au poète.

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Monument à Gérard de Nerval (1955), Square de la tour Saint-Jacques

Pourquoi ici ? Parce qu’à quelques mètres seulement, rue de la Vieille-Lanterne (à l’emplacement actuel du théâtre de la Ville), Nerval a été retrouvé, pendu aux barreaux d’une grille, le matin du 26 janvier 1855.

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La Rue de la Vieille lanterne ou Allégorie sur la mort de Gérard de Nerval, lithographie, Gustave Doré, 1855, BnF via Gallica

Deux strophes de son célèbre sonnet El Desdichado (première pièce de son recueil Les Chimères) sont gravées sur une pierre dans le square. Elles résonnent de manière toute particulière quand on sait qu’elles ont été écrites quelques mois avant le suicide du poète.

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Gérard de Nerval, El Desdichadoin Les Chimères, 1854

J’en profite pour évoquer ce que l’on pourrait appeler un « faux ami » littéraro-musical : si les compositeurs français ont largement puisé leurs textes chez les poètes francophones, il convient de ne pas confondre El Desdichado de Nerval avec El Desdichado de Camille Saint-Saens. La charmante mélodie pour soprano et mezzo est un boléro sur un texte espagnol anonyme qui n’a en commun avec le sonnet nervalien que le titre (et, assez logiquement, l’esprit, dans la mesure où « el desdichado » signifie « le malheureux », « l’infortuné »).

Autre personnage illustre présent dans le square : Blaise Pascal.

Statue de Blaise Pascal par Jules Cavelier
Blaise Pascal, Pierre-Jules Cavelier, 1857

En octobre 1648, le philosophe et scientifique y aurait effectué, au pied et au sommet de la tour, des expériences sur la pression atmosphérique. Dans la série « découvertes musicales inattendues », j’apprends, au cours de l’écriture de ce billet, l’existence des deux mélodies sur des textes de Pascal, composées par Hanns Eisler. Ce compositeur allemand, élève de Schönberg (ça me fait penser qu’il faudrait que je rédige quelque chose au sujet de la relation Schönberg/Kandinsky sur ce blog…!), est connu, entre autres choses, pour ses collaborations avec Bertolt Brecht.

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C’est sur ces quelques notes que s’achève ce billet librement inspiré de ma conférence-concert sur le quartier des Halles. En attendant le prochain article, j’invite les amoureux de Paris à retrouver Montmartre et le Marais !

Découvrez le pianiste John Kamfonas

Comme certains d’entre vous le savent déjà, j’ai eu le plaisir d’enregistrer, tout récemment, un CD avec le pianiste américain John Kamfonas. Nous y interprétons des airs d’opérette et des mélodies de compositeurs français du XIXe siècle. Après avoir ardemment travaillé ensemble sur ce magnifique répertoire, nous avons la joie de pouvoir le partager avec vous (cliquez ici pour en entendre quelques extraits). À l’occasion de la sortie du disque, j’ai eu envie de poser au talentueux John Kamfonas un certain nombre de questions sur lesquelles je ne l’avais pas encore interrogé : c’est cette courte interview d’un pianiste par un chanteur que je soumets ici à votre curiosité. 

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John Kamfonas sur la scène du Grand salon de la Fondation des États-Unis

Pour mes lectrices et lecteurs qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle John Kamfonas. Je suis un pianiste américain. J’ai grandi à Philadelphie et après avoir vécu 6 ans à New York, j’ai eu l’occasion de venir à Paris en 2013 pour quelques mois. Ces quelques mois se sont transformés en cinq ans !

Pourquoi as-tu décidé de t’installer à Paris ?

Disons que ce n’est pas moi qui ai décidé de m’installer à Paris, en fait c’est plutôt Paris qui m’a choisi. J’avais passé un concours de piano en Grèce en 2012 et après une épreuve, le pianiste et pédagogue français Jean Fassina, membre du jury de ce concours, est venu me dire qu’il avait beaucoup aimé mon jeu et ma musicalité. Après quelques discussions plus poussées, il m’a invité à Paris pour travailler avec lui pendant quelques mois afin d’améliorer certains aspects de mon jeu. Je suis donc venu à Paris pour des études intensives auprès de M. Fassina. Il m’a fait redécouvrir l’instrument du point de vue de la production du son. J’ai ensuite poursuivi mes études supérieures avec Marian Rybicki à l’École Normale de Musique dont je suis sorti diplômé en 2017. En parallèle de mes études, j’ai été accepté comme boursier à la Fondation des États-Unis où je suis resté 3 ans en tant que musicien résident. À Paris, j’ai rencontré des collaborateurs magnifiques (comme toi !) qui m’inspirent énormément. J’ai également trouvé dans Paris une ville pleine de passion pour les arts, pleine de perspectives diverses, pleine d’histoire à chaque coin de rue. Je dirais aussi que Paris, bien qu’on dise qu’il s’agit d’une grande ville, garde un certain caractère d’intimité. Bref, même si au début je n’ai pas choisi Paris, après 5 ans ici, je m’y sens chez moi.

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Entrée principale de la Fondation des États-Unis à Paris

Y a-t-il, selon toi, une différence dans l’enseignement du piano aux États-Unis et en France ?

Je pense qu’il est difficile de généraliser étant donné que beaucoup de professeurs aux États-Unis ont fait au moins une partie de leur formation en France ou en Europe. Mais si je devais choisir un aspect particulier, je dirais qu’en France (voire plus généralement en Europe), l’enseignement est davantage focalisé sur la qualité du son produit au piano : combien de nuances et de couleurs peut-on trouver pour mieux développer la phrase ? Comment trouver une sonorité « chantante » sur un instrument dont le son est produit par des marteaux ? Quand j’ai assisté à une série de masterclasses aux États-Unis, j’ai été surpris que ces questionnements fondamentaux soient presque complètement absents du commentaire des professeurs.

Tu apprécies la musique de chambre et joues souvent avec d’autres instrumentistes : est-ce similaire de travailler, par exemple, avec un violoncelliste et avec un chanteur (en l’occurrence, moi !) ?

Quand on collabore avec différents musiciens, il faut être conscient de la projection des différents instruments et savoir comment le piano peut compléter leur timbre. Par exemple, un violoncelle risque plus facilement d’être couvert par le piano qu’un instrument plus aigu comme le violon qui passera aisément au-dessus d’un accompagnement au piano. Il faut donc être attentif à trouver un juste équilibre. En ce qui concerne le travail avec les chanteurs par rapport à celui avec les instrumentistes, je trouve qu’il y a peut-être moins d’ambiguïté dans l’interprétation avec des chanteurs, dans la mesure où le texte chanté donne des indices supplémentaires. Certes, il y a des choix musicaux à faire pour construire l’interprétation d’un morceau vocal, mais en général le contexte de l’œuvre (contenu du texte, personnage, cycle de mélodies, etc.) nous indique le message principal du morceau. En revanche, quand je travaille une sonate pour violoncelle ou pour violon, cette composition plus abstraite laisse potentiellement une plus grande place aux divergences d’opinion sur l’interprétation.

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Recto de la pochette de notre CD
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Verso de la pochette de notre CD

C’est une question à laquelle j’aurais moi-même du mal à répondre mais as-tu un morceau préféré dans le CD que nous venons d’enregistrer ensemble ?

C’est effectivement une question très difficile ! J’adore tous les morceaux, chacun ayant leur propre « saveur ». Mais si je devais choisir, je dirais probablement Les Berceaux de Fauré. Peut-être que c’est aussi dû au fait que c’était le premier morceau qu’on a enregistré… J’adore la simplicité de sa construction, avec la partie de piano qui coule, ondule, tandis que la mélodie envoûtante flotte au-dessus.

En dehors de la musique dite « classique », qu’aimes-tu écouter ?

Mes préférences musicales évoluent constamment. En dehors du domaine de la musique classique, c’est Keith Jarrett qui a inspiré ma prédilection pour l’improvisation, genre que je pratique régulièrement dans mes concerts. Cette fascination pour l’improvisation m’a conduit vers les « musiques du monde » : par exemple, le tango argentin, les ragas indiens et les rythmes hasapiko de Grèce (pays dont est originaire ma famille). J’ai eu l’occasion de faire une collaboration avec des membres du Silk Road ensemble, un groupe fondé par le violoncelliste Yo-Yo Ma.

Ci-dessous, un morceau joué par John Kamfonas avec plusieurs musiciens internationaux, dont Sandeep Das, maître du tabla (percussion indienne) et membre du Silk Road ensemble.

Comme tu le sais, ce blog – comme beaucoup de mes projets professionnels – allie musique et arts visuels. Je souhaitais donc terminer ce court entretien en te demandant d’évoquer un artiste ou une œuvre de ton choix.

Je me souviens d’une sculpture que j’ai vue juste après mon arrivée en France. On peut dire que c’est un petit hommage au professeur qui m’a invité à Paris la première fois. C’était en 2013, j’avais déjà commencé mes cours et je suis allé visiter le musée Rodin. Bien sûr, je m’attendais à voir ses plus célèbres sculptures, mais ce qui m’a le plus attiré a en fait été ses sculptures de mains. Une, en particulier, qui a pour titre La Cathédrale, montre deux mains droites, l’une en face de l’autre, qui ne se touchent pas, avec un espace entre elles. En tant que pianiste, je suis particulièrement fasciné par les mains. Ces sont les outils qui me permettent de réaliser mon art. Les mains sont aussi des outils que nous utilisons en tant qu’êtres humains pour interagir avec le monde, pour communiquer, pour construire, pour créer. Mais dans cette sculpture de Rodin, les mains deviennent plus que des outils : elles acquièrent des personnalités et des rôles. Ces deux mains m’ont paru très « communicatives », l’une avec des doigts tendus, comme si elle déclarait une idée, l’autre détendue avec des doigts délicats légèrement arrondis comme si elle écoutait. Devant cette œuvre, j’ai immédiatement pensé à mes cours de piano avec mon professeur à Paris : il regardait toujours attentivement pendant que je jouais en écoutant et en observant tous mes mouvements, et puis, parfois, il mettait sa main près de la mienne, en guidant sa « chorégraphie » pendant que je jouais une phrase. Il a laissé ma main suivre la sienne.



John et moi vous invitons à venir nous entendre ce dimanche 18 mars à 17 heures, au 40e Rendez-vous musical de la Fondation des États-Unis. D’autres dates seront annoncées prochainement. En attendant, découvrez notre CD !

 

Benvinguts a València

Parmi les villes étrangères que je connais bien, il y a Valence, où j’ai vécu et retourne souvent. C’est une ville pleine de surprises et culturellement passionnante qui mériterait d’innombrables billets de blog… Commençons déjà, modestement, par un premier article ! Je vais vous parler d’un musée qui me plaît particulièrement : le Museo Nacional de Cerámica y Artes Suntuarias González Martí. Propos liminaires de circonstance : c’est un regard personnel, de non spécialiste et évidemment non exhaustif que je propose ici. Comme à mon habitude, vous verrez, la musique est toujours présente !

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Palau del Marqués de Dosaigües, Valence (Espagne)

Le Museo González Martí n’est pas seulement un musée, c’est d’abord un monument. Impossible de passer dans la calle de la Cultura (jusqu’à récemment « raconada de Federico Garcia Sànchiz ») sans être subjugué par la façade de ce Palau del Marqués de Dosaigües qui, comme son nom l’indique, était à l’origine le domicile des barons puis des marquis de « Deux Eaux ». Si la structure de l’édifice est plus ancienne, l’essentiel du décor (dont l’impressionnante façade de stuc et d’albâtre) date principalement du milieu du XVIIIe siècle et du milieu du XIXe siècle.

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Entrée principale du Palau del Marqués de Dosaigües

Malheureusement, toute proportion gardée, on pourrait appliquer à cette façade la phrase de Voltaire au sujet de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais à Paris : « chef-d’œuvre d’architecture auquel il manque (…) une place » qui permettrait de l’admirer comme il se doit, avec suffisamment de recul.

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Impossible d’embrasser d’un seul regard toute la façade principale

Le marquisat des « Deux Eaux », fait référence aux deux principaux fleuves, le Xúquer et le Túria (Júcar et Turia en castillan), de la région valencienne. En toute logique, deux allégories de ces cours d’eaux encadrent l’entrée du palais.

Anecdote amusante, juste au-dessus, une niche accueille une Vierge du Rosaire : cette niche dispose d’un système grâce auquel la statue se trouvait recouverte lorsque les marquis s’absentaient de leur résidence !

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Vierge du Rosaire dans la niche au-dessus de l’entrée principale

On doit ce groupe sculpté, comme le reste du décor en albâtre, à Ignacio Vergara, artiste valencien du milieu du XVIIIe siècle. Si vous êtes curieux de connaître le visage de ce talentueux sculpteur, ce dernier est mis à l’honneur aux côtés d’autres figures valenciennes importantes, dans la Salle des personnages illustres du palais, à travers un portrait peint par José Brel y Gital (1841-1894).

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Portrait du sculpteur Ignacio Vergara, José Brel y Gital, Museo Nacional de Cerámica y Artes Suntuarias González Martí, Valence (Espagne)

Au-dessus de cette huile sur toile, que vois-je ? un musicien ! La frise reprend à plusieurs reprises ce motif.

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Détail de la frise de la Salle des personnages illustres

Dans une pièce cherchant à rendre hommage à de grands personnages, on peut s’interroger : pourquoi cette figure ne joue-t-elle pas de la trompette, attribut conventionnel de la Renommée ? Il s’agit ici de deux auloi, instruments à vent antiques (à anche simple ou double, pour être plus précis), dont on jouait généralement par paire. La représentation de ces ancêtres du hautbois et de la clarinette peut, dans ce contexte, se comprendre de deux façons (l’une n’excluant pas l’autre) : 1. L’allusion à l’Antiquité grecque est glorificatrice en tant que telle ; 2. Bien qu’il s’agisse d’un instrument fort différent, la forme de l’aulos rappelle ici celle des trompettes droites sans pistons dont sont traditionnellement affublées les allégories de la Renommée.

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Allégorie de la Renommée, Artemisia Gentileschi, c. 1630-1635, collection privée

Pas de musée de la céramique sans céramique ! Pour rester dans le thème des instruments à vent antiques, je ne résiste pas au plaisir de vous présenter ce charmant Pan de la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Contrairement à Rubens (comme je l’avais noté dans mon billet le concernant), l’auteur, anonyme, ne s’est pas trompé : c’est bien dans ce sens qu’il convient de tenir une flûte de Pan !

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Salon de musique / Salle de bal, Palau del Marqués de Dosaigües, Valence (Espagne)

Pour revenir au Palau del Marqués de Dosaigües, la pièce la plus vaste de l’étage noble n’est autre que le salon de musique (ou salle de bal). C’était là que l’on accueillait, le plus souvent, les visiteurs.

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Claustra de la salle de bal

Les musiciens se tenaient derrière des sortes de claustras (ou claustra pour les plus latinistes de mes lecteurs) et accompagnaient, de leurs sons, les réceptions : sans doute était-ce un moyen pour ces nobles, en ces temps précédant la musique enregistrée, de pouvoir profiter de cet art sans avoir à souffrir la vue de ses modestes interprètes.

Sans surprise, le décor sculpté du XIXe siècle évoque la fonction de cette pièce. L’historicisme (mouvement s’inspirant de styles l’ayant précédé) éclectique du salon de musique se retrouve logiquement dans le choix des instruments représentés : on y distingue, entre autres motifs, des instruments antiques (lyres, crotales, flûtes de Pan…), de la Renaissance (lira da braccio, luth…), mais aussi des instruments encore utilisés au moment de l’exécution du décor (comme la trompe de chasse et le tambour).

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les lire da braccio et les luths sont ici insérés, sur les pilastres, dans le décor dits de « grotesques » : en effet, tout comme ces deux instruments, c’est à la Renaissance que se diffusent ces types de décors.

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Fenêtre du patio donnant sur le salon de musique

Détail amusant, la fenêtre du patio donnant sur ce cette pièce est flanquée et couronnée de reliefs représentant instruments et musiciens, au premier rang desquels, tout en haut, le dieu Apollon avec sa lyre à sept cordes (fabriquée et offerte par Hermès).

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Relief surmontant la fenêtre du patio qui donne sur le salon de musique

Vous me direz : « Mais, il n’y a pas de chanteuses ou de chanteurs dans ce salon de musique ? seulement des instrumentistes ? » Rassurez-vous, la voix, mon instrument préféré, bien que le moins aisé à représenter, se retrouve bien dans cette pièce.

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Joueur de luth et chanteur tenant un phylactère

On peut, en effet, considérer – il s’agit d’une convention iconographique très répandue – que la figure à droite du joueur de luth, tenant une sorte de phylactère, est ici en train de chanter les paroles inscrites (du moins, en théorie) sur sa banderole.

Craignant que l’on me reproche de n’évoquer que la musique, mais ne souhaitant pas ennuyer mes lectrices et lecteurs avec un billet trop long, je me résous à réaliser un inventaire à la Prévert de ce que l’on peut voir dans ce Museo Nacional de Cerámica y Artes Suntuarias González Martí :

Des poivrons, Marie-Antoinette (d’après Vigée Le Brun), un biberon du XVIIIe siècle, des céramiques de Picasso (période Vallauris), un plat à épices du XVIIe siècle (superbe exemple de la céramique à reflets métalliques produite à Manises dans la région valencienne), une period room, un gâteau (enfin, il me semble que c’en est un !), Madame du Barry (d’après Pajou)…

Après cette liste de choses incongrues, étranges, je ne pouvais conclure ce billet qu’avec un extrait de l’opéra Una cosa rara (littéralement « Une chose étrange ») composé par le Valencien Martín i Soler en 1786. Voici le finale du Ier acte.

Pourquoi cet extrait en particulier ? Car il me permet une dernière anecdote : le thème principal est cité, l’année suivante, par Mozart à la fin de son Don Giovanni (écouter à partir de 1:00) !

 

Une place royalement musicale

Comme dans mes billets sur Rubens et sur le Lapin Agile, les prochaines lignes s’inspirent librement d’une de mes conférences-concerts. Cette dernière, construite comme une sorte de visite virtuelle, est consacrée au quartier du Marais à Paris. J’ai décidé de me focaliser ici sur la place des Vosges… Vous verrez, la musique n’est jamais bien loin !

Une place à la Gloire de Louis XIII

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Place des Vosges (musée Victor Hugo), Agence Meurisse, 1930, BnF [via Gallica]
La place des Vosges n’est pas n’importe quelle place parisienne : il s’agit de la place monumentale la plus ancienne de la capitale et de la plus ancienne des « places royales » ! Place royale, c’était d’ailleurs son nom d’origine. Mais, qu’est-ce qu’une place royale ? Pour schématiser, c’est une place conçue pour glorifier un souverain. Elle doit servir de cadre à une effigie du roi. Plusieurs places royales sont aménagées au cours des XVIIe et XVIIIe siècles : la place Dauphine, à la gloire d’Henri IV, la place des Victoires et l’actuelle place Vendôme pour Louis XIV. Louis XV et Louis XVI se voient successivement dédier la place qui borde le jardin des Tuileries (aujourd’hui, la place de la Concorde). Quant à la place qui nous intéresse aujourd’hui, elle devait glorifier Louis XIII.

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Destruction de la statue équestre de la place royale pendant la Révolution, Anonyme, 1792, BnF (via Gallica)

Toutes ces places sont ornées d’une statue du roi qu’elles honorent. La statue de Louis XIII, inaugurée en 1639, était composite. Le portrait sculpté, commandé à Pierre II Biard par Richelieu, avait été monté sur un cheval réalisé par un sculpteur du siècle précédent, Daniele da Volterra, élève de Michel-Ange : la monture était originellement destinée à une statue du roi Henri II ! Cette statue de Louis XIII qui trônait au milieu de la place Royale, a disparu, comme toutes les autres effigies des places royales parisiennes, au moment de la Révolution.

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La statue équestre de Louis XIII sur la place Royale, Nicolas Picart, s.d., BnF (via Gallica)

La statue néoclassique, que l’on voit actuellement, est l’oeuvre de Dupaty et Cortot. Elle s’y trouve depuis 1825, c’est-à-dire pendant la restauration monarchique. Le souverain est alors Charles X, l’arrière-arrière-arrière-arrière-petit-fils de Louis XIII !

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Statue équestre de Louis XIII sur la place des Vosges, Jean-Pierre Cortot d’après Charles Dupaty, installée en 1825

Profitons de cette évocation de Louis XIII pour dévoiler un aspect méconnu de la personnalité du souverain : saviez vous que le roi appréciait tout particulièrement la musique ? Non seulement il en écoutait, mais il en chantait, jouait, dirigeait et même composait ! Les écrits anciens le disent luthiste et violoniste. En outre, il semble que le roi jouissait d’une belle voix de basse (la tessiture la plus grave parmi les voix d’homme). Vous êtes curieux d’entendre ce à quoi pouvait ressembler cette musique royale ? Voici un morceau (ici dans une version instrumentale mais à l’origine un air à quatre voix) intitulé Tu crois, ô beau Soleil composé par Louis XIII qui pourrait être également l’auteur du poème.

Ce n’est pas la seule oeuvre de Louis XIII à nous être parvenue : il a aussi composé le Ballet de la merlaison, réunissant ainsi son goût de la chasse (merlaison signifiant chasse au merle), de la musique et de la danse. Malheureusement, plusieurs de ses autres compositions, qui n’avaient pas pour vocation d’être largement diffusées, ont aujourd’hui disparu.

Refermons cette parenthèse musicale pour revenir à notre place des Vosges.

Un habitant illustre

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Victor Hugo, Auguste Rodin, 1902-1908, Maison de Victor Hugo (Paris)

Comme vous le savez peut-être, Victor Hugo y a vécu 16 années durant, à partir de 1832 (il avait déménagé pas moins de cinq fois en dix ans, de 1822 à 1832 !). Il habitait au deuxième étage de l’hôtel de Rohan-Guéménée, au numéro 6 de la place, là même où, depuis 1903, un musée fort charmant lui est consacré. Rendons justement hommage à Hugo, à son hôtel particulier et à la place des Vosges… en musique !

Extrait sonore sur la 2e plage de ce disque numérisé par Gallica : ici.

Grâce à Hugo, nous allons apprendre ce qui se trouvait à l’emplacement de la place Royale, avant sa construction :

Derrière, s’élevait la forêt d’aiguilles du palais des Tournelles. Pas de coup d’œil au monde, ni à Chambord, ni à l’Alhambra, plus magique, plus aérien, plus prestigieux que cette futaie de flèches, de clochetons, de cheminées, de girouettes, de spirales, de vis, de lanternes trouées par le jour qui semblaient frappées à l’emporte-pièce, de pavillons, de tourelles en fuseaux, ou, comme on disait alors, de tournelles, toutes diverses de formes, de hauteur et d’attitude. On eût dit un gigantesque échiquier de pierre. (…) Là est aujourd’hui la place Royale.

Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831

L’écrivain nous rappelle que c’est l’hôtel des Tournelles, demeure royale, qui occupait jadis la partie nord de l’actuelle place des Vosges.

Hugo a(urait ?) également écrit « C’est le coup de lance de Montgomery qui a créé la place des Vosges » (Attention : j’avoue humblement que si cette citation est reprise par plusieurs auteurs sérieux, je n’ai toujours pas réussi à en trouver l’origine précise… pourrait-il s’agir de propos apocryphes ?).

Une origine tragique

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Le Tournoy ou le Roy Henry II fut blessé à mort le dernier de juin 1559, Anonyme, 1570, BnF (via Gallica)

En effet, le 30 juin 1559, au cours d’un tournoi organisé par Henri II pour célébrer les mariages de ses filles Elisabeth et Marguerite, le comte de Montgomery blesse accidentellement l’œil du roi avec un éclat de sa lance. Et c’est à l’hôtel des Tournelles, après dix jours d’atroces souffrances, que le roi meurt. Sa veuve, Catherine de Médicis, ordonne donc la démolition de cette funeste résidence et fera construire le palais des Tuileries en face du Louvre… Mais ça, c’est une autre histoire !

Un demi-siècle plus tard, après avoir accueilli un marché aux chevaux pendant une trentaine d’années, la zone voit le début de la construction de la place Royale sous le règne de Henri IV.
Deux ans après l’assassinat du Vert-Galant, elle est inaugurée à l’occasion des fiançailles de Louis XIII et d’Anne d’Autriche. On organise alors un grand carrousel, le « Roman des Chevaliers de la Gloire », les 5, 6 et 7 avril 1612 : pas de tournoi (trop de mauvais souvenirs ?) mais des ballets équestres et… de la musique ! Trompettes, hautbois, luths, cornets à bouquin, tambourins, fifres et même des chanteurs de la Chapelle du roi.

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Grand carrousel donné place Royale du 5 au 7 avril 1612, Anonyme, vers 1612, Musée Carnavalet

Mais c’est à Bordeaux, trois ans plus tard, que se marient Louis XIII et Anne d’Autriche comme l’a rappelé ce concert donné par l’ensemble Sagittarius en 2015 pour le 400e anniversaire de ce mariage princier.

Au fait, depuis quand – et pourquoi – la place Royale est-elle devenue la place des Vosges ? Débaptisée par la Révolution française, la place reçoit, en 1800, le nom de “place des Vosges”, pour récompenser ce jeune département qui a été le premier à s’acquitter de ses impôts dans leur totalité.

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Place des Vosges

Des pavillons et des « stars »

Hier comme aujourd’hui, les promeneurs de Paris ne manquent pas d’admirer l’architecture de la place. Quelle harmonie ! Les trente-six pavillons sont caractéristiques du style dit “Henri IV”, avec leurs briques rouges, leurs chaînages de pierre blanche et leurs toits d’ardoise bleue. Deux constructions se distinguent particulièrement : le pavillon de la reine et au sud – le plus haut, cela va sans dire ! – celui du roi.

Outre Victor Hugo, beaucoup de personnages célèbres ont vécu sur cette place : au n°8 ont résidé successivement Théophile Gautier et Alphonse Daudet, au n°9 la tragédienne Rachel, Jacques-Bénigne Bossuet au n°17… la liste, sur quatre siècles, serait longue ! Je ne peux pas omettre d’évoquer la naissance, le 5 février 1626, au 1 bis, d’une femme appelée à un destin fameux : Marie de Rabutin-Chantal… Mais si, vous la connaissez, c’est la future marquise de Sévigné !

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Portrait de Madame de Sévigné, d’après Claude Lefèbvre, XVIIe siècle, Metropolitan Museum of Art (New York)

En préparant ce billet, j’ai d’ailleurs fait de nouvelles découvertes musico-sévignesques, que je m’empresse de partager avec vous. Au XIXe siècle, Madame de Sévigné est l’une des seules femmes jugée digne d’apparaître dans le panthéon des écrivains célèbres (c’est d’ailleurs la seule femme parmi les 36 médaillons qui ornent la salle Labrouste de la BnF). Antoine-François Marmontel (1816-1898) compositeur, pianiste et professeur au Conservatoire de Paris, a justement écrit un Menuet de Madame de Sévigné !

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Première page de la partition éditée à Paris par Heugel vers 1873

Il s’agit d’une pièce didactique considérée comme « moyennement difficile » dans cette partition de 1874 trouvée sur Gallica.

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Détail de l’Art moderne du piano (50 Etudes de salon moyenne force et progressives) d’Antoine-François Marmontel, BnF (via Gallica)

Mais, menuet+Sévigné au XIXe siècle… est-ce cohérent ? Menuet+Sévigné, oui, c’est cohérent : cette danse à trois temps est apparue à la cour de France, vers 1660, c’est-à-dire juste « au milieu » de la vie de la marquise de Sévigné. Mais pourquoi un menuet au XIXe siècle ? Si cette danse perd en importance à partir de 1800, elle connaît un regain d’intérêt plus tard dans le siècle comme danse de salon.

Grâce à Gallica, on a également accès au conducteur (partition avec tous les instruments de l’orchestre, par opposition à ce que l’on appelle une « réduction » piano/voix) de Ninon chez Madame de Sévigné, opéra de Henri-Montan Berton sur un livret d’Emmanuel Dupaty, créé en 1808. Ce Dupaty n’est autre que le frère du sculpteur auteur de la statue équestre de Louis XIII évoquée plus haut !

Je vais tout de suite déchiffrer les rôles du marquis de Sévigné et du valet de Ninon de Lenclos : deux ténors !

Si ce billet vous a plu, je ne saurais trop vous encourager à assister à ma conférence-concert consacrée au quartier du Marais ou bien à en organiser une !

 

Nouvelle année, nouveaux projets !

En ce mois de Janus, je tiens d’abord à souhaiter aux lecteurs curieux de ce modeste blog douze mois musicaux, artistiques, culturels, intéressants, enrichissants, exaltants… Bref, une bonne et belle année 2018 !

Comme tous les ans, dans quelques jours, le chiffre des unités de mon âge imitera le calendrier en passant de 7 à 8. Plutôt que d’en profiter pour rédiger un rébarbatif bilan des 365 jours précédents, je préfère évoquer les mois à venir !

Pour ce qui est de mon actualité la plus proche, je donne en janvier trois conférences-concerts sur des quartiers de Paris dans l’ancienne région Poitou-Charentes.

J’étais hier à Royan avec la fabuleuse pianiste Anne-Lise Saint-Amans pour présenter le Marais (parisien, pas poitevin !) en explications, en images et en musique ; demain, à Niort, ce sera Montmartre (relire mon billet sur le Lapin Agile, institution montmartroise) ; enfin, retour dans le Marais, le lundi 22 au Palais des Congrès de Rochefort.

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Place des Vosges (musée Victor Hugo), Agence Meurisse, 1930, BnF [via Gallica]
En parlant du Marais, voici une première annonce : je publierai prochainement sur ce blog un billet historico-artistico-musical consacré à la place des Vosges ! Stay tuned, comme on dit en bon français.

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Autoportrait, Tintoret, c. 1546-1548, Philadelphia Museum of Art (États-Unis)

[Rataplanrataplanrataplan] Roulement de tambour… après avoir eu le bonheur d’y donner des visites chantées de l’exposition Rubens. Portraits princiers, je retrouverai le Musée du Luxembourg au printemps pour vous faire découvrir, à ma manière, Tintoret. Naissance d’un génie. Le saviez-vous ? Ce grand peintre vénitien du XVIe siècle était lui-même un musicien talentueux et un grand mélomane.

Les dates de ces visites chantées ? Les 24 mai, 5 juin et 12 juin !

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La Villa Cavrois et son miroir d’eau [photo que j’ai prise en septembre dernier]
[Rataplanrataplanrataplan] Comme la photo ci-dessus le sous-entend… je me réjouis particulièrement de pouvoir vous annoncer que je donnerai cet été des visites chantées de la superbe Villa Cavrois. Vous ne connaissez pas encore ce lieu incontournable du nord de la France ? Vous avez une petite excuse, ce chef-d’œuvre de l’architecte Mallet-Stevens, géré par le Centre des monuments nationaux, n’est ouvert au public que depuis juin 2015. Que vous ayez déjà visité la Villa ou non, j’ai hâte de vous y retrouver dans quelques mois !

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Dans le Grand Salon de la Fondation des États-Unis, photo de Viet Le Hoang

[Rataplanrataplanrataplan] À présent, une annonce d’un autre genre : après d’intenses sessions d’enregistrement avec le pianiste américain John Kamfonas, dans l’inspirant Grand Salon de la Fondation des États-Unis, notre CD sera bientôt disponible. Nous y interprétons de la musique française du XIXe siècle : des airs d’opérettes d’Offenbach ainsi que des mélodies de Massenet, Berlioz, Debussy, Chausson, Duparc et Fauré. J’espère que vous prendrez autant de plaisir à l’écouter que nous en avons pris à le concocter !

Sur cette évocation musicale d’une promenade dans une exposition, composée par Moussorgski et orchestrée par Ravel, s’achève momentanément cette liste d’annonces : je serai, en effet, en mesure de vous communiquer, très bientôt, de nouveaux événements enthousiasmants pour 2018 ! L’année ne fait que commencer…

Vive le vent…de la rue Furstenberg ?

Je souhaitais écrire un billet un peu « léger » en lien avec Noël avant de profiter de quelques jours de vacances… Je me suis souvenu qu’il y a quelques mois, au cours de recherches pour une conférence-concert, une découverte m’avait assez amusé : l’année de l’installation d’Eugène Delacroix dans son atelier de la rue Furstenberg (aujourd’hui le Musée Delacroix), 1857, correspond également à l’année de publication de Jingle Bells, une des chansons de Noël les plus connues à travers le monde. Si ces deux faits n’ont aucun lien, j’ai trouvé leur concomitance tout à la fois surprenante (je pensais la chanson plus récente) et cocasse. C’est ce principe que je vais poursuivre ici : mettre en lumière ces synchronies fortuites et drolatiques entre des chants de Noël et des événements de l’histoire de l’art.

Vive le vent…de la rue Furstenberg

Je l’ai écrit, c’était ma première découverte de ce genre : l’arrivée de Delacroix dans son dernier atelier et la chanson Jingle Bells datent de la même année. Profitons-en pour en apprendre un peu plus sur l’une comme sur l’autre.

Eugène Delacroix emménage au 6 rue Furstenberg (oui, contrairement aux apparences, c’est bien une rue et non pas une place !) le 28 décembre 1857. On peut d’ailleurs lire dans son Journal :

Lundi 28 décembre. Déménagé brusquement aujourd’hui. (…) Mon logement est décidément charmant. J’ai eu un peu de mélancolie après dîner, de me trouver transplanté. Je me suis peu à peu réconcilié et me suis couché enchanté. Réveillé le lendemain en voyant le soleil le plus gracieux sur les maisons qui sont en face de ma fenêtre. La vue de mon petit jardin et l’aspect riant de mon atelier me causent toujours un sentiment de plaisir.

Depuis une dizaine d’années, le peintre disposait d’un atelier rue Notre-Dame-de-Lorette dans le quartier de la Nouvelle Athènes (9e arrondissement de Paris) mais, malade, il décide de ce déménagement pour se rapprocher de l’église Saint-Sulpice. Il y a, en effet, commencé à peindre la décoration d’une chapelle en 1849 et les longs trajets quotidiens ne lui conviennent plus.

C’est en 1861 qu’il achève son Héliodore chassé du temple et La lutte de Jacob avec l’ange à Saint-Sulpice. Delacroix restera au 6 rue Furstenberg jusqu’à son décès en 1863.

Grand écart géographique mais concordance temporelle : l’année 1857 voit la naissance du fameux Jingle Bells. Enfin, soyons plus précis, son premier titre est One Horse Open Sleigh, ce qui donnerait en français « traîneau ouvert à un seul cheval » ou « traîneau ouvert tiré par un cheval ». Si l’on sait que la chanson a été composée aux Etats-Unis et publiée pour la première fois à Boston en 1857, il y a débat sur la date et le lieu exacts de création. Il ne fait aucun doute, en revanche, que l’auteur en est le compositeur James Lord Pierpont dont c’est – et de très loin ! – l’œuvre la plus célèbre.

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James Lord Pierpont (1822-1893)

Pour l’anecdote, il est l’oncle de John Pierpont Morgan, banquier, financier et collectionneur d’art majeur (et commanditaire du Titanic !) que les bibliovores et muséophiles (et vice versa) connaissent bien : Morgan est le président du Metropolitan Museum de New York entre 1904 et 1913. Une part importante de sa collection est d’ailleurs conservée MET. En outre, c’est en son honneur et grâce à sa riche collection, que son fils ouvre, après la mort de John Pierpont Morgan, la Pierpont Morgan Library (devenue Morgan Library & Museum).

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Morgan Library and Museum (New York)

Pour revenir à Jingle Bells, ce n’est qu’en 1948 que sort la version française de la chanson, que l’on doit à Francis Blanche : Vive le vent (qui, soit dit en passant, ne correspond pas à la traduction de Jingle Bells, « tintez cloches »).

Douce nuit et jours tragiques

Le 24 décembre 1818 (in extremis, si je puis dire), l’Autrichien Franz Xaver Gruber (1787-1863) compose le célèbre Stille Nacht. Cela ne vous dit rien ? Pourtant, vous connaissez cette chanson, sans nul doute ! Il s’agit de la version originale (en allemand) du Silent night anglophone et du Douce nuit français.

L’auteur du texte, le prêtre Joseph Mohr, ne transmet le poème au compositeur Franz Xaver Gruber que quelques heures avant la célébration de Noël (et la première exécution du morceau !). Le texte avait d’ailleurs été écrit deux ans auparavant. C’est ainsi que les paroissiens de l’église Saint-Nicolas d’Oberndorf près de Salzbourg assistent le 24 décembre au soir à la création, dans une version avec accompagnement de guitare, de ce qui deviendra un « tube » international. Vous n’aviez jamais entendu parler de Franz Xaver Gruber ? C’est normal ! La musique n’était pas son occupation première (il était instituteur) et sa formation en la matière était modeste. Outre la composition du Stille Nacht, on sait, qu’à cette époque, il jouait de l’orgue à l’église Saint-Nicolas. En revanche, ses nombreuses pièces sacrées sont aujourd’hui tombées dans l’oubli…

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[Je n’ai pas pu m’en empêcher] Portrait de Joseph Mohr, Hannes Ploner, 1975, Stille-Nacht-Kapelle, Oberndorf (Autriche)
L’hiver 1818 marque aussi l’histoire de l’art : c’est à cette période que Théodore Géricault entame son long travail sur Le Radeau de la Méduse, toile gigantesque par ses dimensions (cinq mètres sur sept) et sa place dans l’histoire de la peinture du XIXe siècle.

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Première esquisse pour Le Radeau de la Méduse, Théodore Géricault, 1818, Musée du Louvre

Il l’exposera au Salon l’année suivante. Loin de moi l’idée de revenir en détail sur l’histoire tragique que raconte le tableau ou de faire une analyse en bonne et due forme de l’œuvre : cet humble billet de Noël n’y parviendrait pas et cela ne serait pas le lieu de le faire !

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Le Radeau de la Méduse, Théodore Géricault, 1818-1819, Musée du Louvre

En deux mots néanmoins, rappelons que Le Radeau de la Méduse, modèle du romantisme pictural français, évoque le naufrage d’une frégate en 1816. Cet événement, qui a eu lieu près des côtes du Sénégal, a des conséquences dramatiques : sur les 150 hommes et une femme entassés sur le radeau, seules 10 personnes survivent.

L’enfant divin et le vieux musicien

Si je vous dis « ré sol sol si sol ré sol sol », ça vous parle ? Les musiciens auront sans doute reconnu les premières notes du thème d’un autre classique de Noël : Il est né, le divin Enfant.

Si les quelques ouvrages que j’ai pu lire diffèrent parfois sur la question, il semble bien que ce soit en 1862 qu’est né ce « divin enfant ». Du moins, c’est probablement cette année-là qu’est publiée pour la première fois cette chanson lorraine traditionnelle (qui préexistait, bien entendu, à sa publication). Cette première apparition est due à Romary Grosjean, organiste de la cathédrale de Saint-Dié (dans les Vosges), qui l’intègre à un recueil de chants de Noël lorrains. La mélodie s’inspirerait de prêt d’un air de chasse du XVIIIe siècle.

Voici l’harmonisation qu’en a fait Gabriel Fauré :

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Il est né le divin enfant, harmonisé par Gabriel Fauré
En cette année 1862, la musique est sensiblement présente chez un peintre majeur de la modernité… Edouard Manet. Pour remettre dans le contexte : il s’agit de l’année qui précède la « révolution symbolique » de son Déjeuner sur l’herbe.

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Le Vieux musicien, Édouard Manet, 1862, National Gallery of Art (Washington)

Manet peint donc en 1862 Le Vieux musicien, son œuvre aux dimensions les plus importantes à ce moment de sa carrière. Ce « vieux musicien » est un violoniste.

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Détail du violon du Vieux musicien

Il semble s’apprêter à jouer une note en pizzicato (c’est-à-dire en pinçant la corde plutôt qu’en utilisant l’archet) comme le montre la position de son pouce et de son index droits. En outre, sa main gauche indique qu’il ne va jouer une corde à vide (il appuie sur une corde au niveau du manche). Le violoniste représenté se nomme Jean Lagrène, un musicien manouche qui gagne sa vie en jouant de l’orgue de barbarie dans les rues de Paris.

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Portraits de face et de profil de Jean Lagrène, Jacques-Philippe Potteau, 1865, Muséum national d’histoire naturelle (Paris)

Un autre tableau « musical » de Manet date de 1862 : La Musique aux Tuileries.

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La Musique aux Tuileries, Édouard Manet, 1862, National Gallery (Londres)

Mais, me direz-vous, il n’y a pas de musicien ! C’est vrai et c’est faux. D’une part – et c’est l’un des intérêts majeurs de l’œuvre selon moi -, Manet, moderne, choisit de ne pas peindre les musiciens qui sont probablement en train de jouer, en se concentrant sur les spectateurs/auditeurs, membres de la société élégante de ce Second Empire.

D’autre part, il y a bien, outre un autoportrait de Manet (à l’extrémité gauche de la toile) des portraits d’artistes contemporains parmi lesquels… un musicien, et non des moindres : Jacques Offenbach ! Le compositeur est assis derrière Eugène Manet (le frère du peintre), personnage debout de profil, légèrement penché.

Enfin, en 1862, Manet peint aussi Lola de Valence, un de ses chefs-d’œuvre conservés au Musée d’Orsay.

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Lola de Valence, Édouard Manet, 1862, Musée d’Orsay

Ne peut-on pas considérer cette célèbre toile comme étant également « musicale » ? La danse n’appelle-t-elle pas la musique ?

Joyeux Noël, triste Noël

Terminons par une chanson un peu décalée par rapport aux morceaux évoqués ci-dessus. En 1968, sort « Le Soleil noir », le cinquième album-studio de Barbara (le neuvième en tout).

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Barbara en 1968

Si l’on écoute le disque en entier, on entend, sur la dernière piste de la face B, une chanson fort à propos puisqu’elle s’intitule Joyeux Noël. Derrière ce titre bon enfant, le texte n’est « pas très catholique » comme on dit ! Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas la chanson, je vous laisse la découvrir :

Cette année rebelle voit le décès d’un artiste non moins radical : Marcel Duchamp. Je vous laisse méditer sur son épitaphe :

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Épitaphe de Marcel Duchamp au cimetière monumental de Rouen
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Porte-bouteilles, Marcel Duchamp, 1914/1964, Centre Pompidou

Devant ce porte-bouteilles, trinquons en sa mémoire. Et… Joyeux Noël !

Un lapin agile et musical

Tout comme dans mon précédent (et premier !) billet, je vais ici me concentrer sur une « étape » d’une de mes conférences-concerts, en profitant du médium écrit pour aller un peu plus loin. Lors de mes conférences concerts sur « Montmartre à travers les arts, la littérature et la musique », j’aime évoquer un haut lieu du 18e arrondissement : le Lapin Agile. Aujourd’hui, je vous propose d’approfondir la découverte de ce cabaret, en mots, en images… et en musique !

Du « Rendez-vous des voleurs »
au « Lapin Agile »

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Le Lapin Agile, 22 Rue des Saules à Paris

Le cabaret du Lapin Agile est une véritable institution à Montmartre. A l’origine du Lapin Agile se trouve une guinguette ouverte en 1860 (année, soit dit en passant, de l’annexion de Montmartre à Paris). Cette guinguette porte un nom assez particulier : « Au rendez-vous des voleurs » ! Concernant son nom, les choses ne vont pas s’améliorant, puisque quelques années plus tard le lieu devient l’inquiétant « Cabaret des assassins ». Si l’expression peut faire peur, elle semble venir d’une (ou de plusieurs ?) œuvre(s) peinte(s) exposée(s) dans cette guinguette rappelant les crimes, très médiatisés à l’époque, de Jean-Baptiste Troppmann.

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Troppmann, assassinat commis à Pantin dans la nuit du 19 au 20 septembre 1869

Mais comment passe-t-on du « cabaret des assassins » au « Lapin Agile » ?
En 1875, le propriétaire demande au caricaturiste montmartrois André Gill de peindre une nouvelle enseigne pour le cabaret : l’artiste s’exécute et peint un lapin s’échappant d’une casserole, une bouteille de vin à la main (enfin, à la patte !).

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Enseigne du Lapin Agile, André Gill, 1875-1880, Musée du Montmartre

Le cabaret est alors connu sous le nom de « Lapin à Gill » puis, par jeu d’homophonie, « Lapin Agile ».

Propriétaires et clients

Le Lapin Agile change plusieurs fois de mains. Un de ses plus célèbres propriétaires n’est autre que le fameux Aristide Bruant ! Mais si, vous connaissez tous sa silhouette : un grand chapeau noir et une large écharpe rouge ! C’est du moins comme cela que l’a immortalisé Toulouse Lautrec sur des affiches qui ont marqué l’histoire de la réclame.

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Ambassadeurs. Aristide Bruant dans son cabaret, Affiche (épreuve d’essai), Henri de Toulouse-Lautrec, BnF
Aristide Bruant a habité juste à côté du Lapin Agile, au 30 rue Saint-Vincent. Ce grand chansonnier, qui a mis à l’honneur l’argot parisien, a d’ailleurs écrit une très belle chanson sur la rue Saint-Vincent. En voici une interprétation par un autre personnage qui a marqué la butte : Patachou, cabaretière et chanteuse à gouaille de l’après-guerre (on voit « Chez Patachou » les débuts de Brel et de Brassens !).

En 1903, Aristide Bruant délègue la gestion du cabaret à une autre figure mythique de Montmartre : Le père Frédé (de son vrai nom Frédéric Gérard).

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Le père Frédé avec son âne Lolo

Frédé avait été auparavant marchand de poisson dans les rues de Montmartre (en compagnie de son âne Lolo !), et propriétaire du cabaret Zut, toujours à Montmartre.

Si le propriétaire Bruant le gérant Frédé sont des personnages majeurs de Montmartre, les clients du Lapin Agile ne sont pas moins illustres ! Parmi eux, en ce début de XXe siècle, on peut citer Mac Orlan, Max Jacob, Dorgelès… On sait également qu’Apollinaire y lit des poèmes de son recueil Alcools.

Saviez-vous que, peu de temps après la première édition d’Alcools (1913), Honegger, compositeur suisse, futur membre du « groupe des Six » (je reviendrai sans doute sur ce « groupe » dans un prochain billet), a mis en musique six poèmes issus de ce célèbre recueil ?

Extrait sonore sur la 2e plage de ce disque numérisé par Gallica : ici.

Mais revenons aux clients du Lapin Agile. Picasso est, lui aussi, un habitué du lieu. Il prend d’ailleurs Marguerite (dite Margot), la belle-fille de Frédé, comme modèle pour la Femme à la Corneille.

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Femme à la corneille, Pablo Picasso, 1904

En 1905, Picasso peint Au Lapin Agile (ou Arlequin au verre). Il s’agit d’un autoportrait déguisé : Picasso se représente à plusieurs reprises en Arlequin, personnage de la Commedia dell’arte auquel il s’identifie. Mais ce qui m’intéresse tout particulièrement, c’est, bien entendu, le guitariste.

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Au Lapin Agile (ou Arlequin au verre), Pablo Picasso, 1905, Metropolitan Museum of Art (New York)

Et, ce guitariste, n’est autre que… le père Frédé, le gérant du cabaret !

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Le père Frédé avec sa guitare, Agence de presse Meurisse, 1927, BnF
Outre la guitare, le père Frédé jouait aussi du violoncelle.

Frédéric Gérard souhaitait recevoir une clientèle composée essentiellement d’artistes mais les criminels du Bas-Montmartre fréquentent également le Lapin Agile. Se souvenant de ses jeunes années montmartroises, Roland Dorgelès raconte :

A l’angle de la rue Saint-Vincent apparaissait une maisonnette aux fenêtres d’assommoir d’où s’échappaient des bouffées de chansons : c’était le Lapin Agile (…). De temps en temps, des marlous qui avaient un vieux compte à régler avec le patron arrivaient en bande pour faire du grabuge et les fenêtres du cabaret sautaient sous les coups de feu, mais, huit jours après, on n’en parlait plus et la police ne se dérangeait même pas.

Roland Dorgelès, Le Château des brouillards, 1932

« On n’en parlait plus »… Jusqu’au soir de septembre 1911 où le cabaret est le théâtre d’un tragique événement : un des fils de Frédéric Gérard, Victor (dit Totor) est tué d’une balle dans la tête derrière la caisse…

Le Lapin Agile ou l’art du canular

Pour passer à un sujet plus léger, c’est ici qu’est né un des canulars les plus célèbres de l’histoire de l’art : En 1910, un certain Joachim Raphaël Boronali, peintre génois, expose une huile sur toile de 54 centimètres de hauteur sur 81 centimètres de largeur, dans la salle 22 du Salon des Indépendants. Il a pour titre Et le soleil s’endormit sur l’adriatique et un texte théorique l’accompagne, le « Manifeste de l’excessivisme ».

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Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique, Joachim-Raphaël Boronali, 1910, Espace culturel Paul-Bédu (Milly-la-Forêt)

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore la chute de cette farce, laissons Jean Ferrat nous donner un petit indice :

« Aliboron » ? C’est depuis le XVe siècle un sot, un ignorant. Mais c’est surtout La Fontaine qui popularise ce terme dans ses Fables : c’est le nom de son âne. Pourquoi parlé-je d’Aliboron ? Parce qu’il s’agit de l’anagramme de Boronali. En effet, Joachim Raphaël Boronali, en réalité, c’est lui :

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L’âne Lolo, dit Joachim-Raphaël Boronali

C’était en fait Roland Dorgelès qui avait attaché un pinceau au bout de la queue de l’âne et écrit le manifeste. Il finit par révéler qu’il est l’auteur du canular en apportant un constat d’huissier (rédigé le 8 mars 1910) au journal Le Matin, puis, le 1er avril le journal satirique Fantasio révèle la supercherie en publiant deux photos, en reproduisant le manifeste de Boronali…

L’entre-deux-guerres au Lapin Agile

Plus tard, pendant l’entre-deux-guerres, les clients du Lapin Agile s’appellent Pierre Brasseur, Simenon, ou encore Charlie Chaplin lorsqu’il visite Paris. Il paraît même que c’est au Lapin Agile que ce dernier a entendu pour la première fois la chanson Je cherche après Titine qu’il intégrera dans Modern Times en 1936 !

C’est à cette époque qu’une toute jeune Italienne, Rina Ketty (née Cesarina Picchetto), fait ses débuts au Lapin Agile. Je ne résiste donc pas à achever ce billet par une des chansons qui ont fait son succès, J’attendrai, reprise d’une chanson italienne (Tornerai de Nino Rastelli et Dino Olivieri), connue pour avoir également été interprétée par une célèbre chanteuse montmartroise au destin tragique : Dalida !

La ressemblance mélodique et rythmique avec le chœur final de l’acte II de l’opéra Madama Butterfly de Puccini serait-elle fortuite…?

Et aujourd’hui ?

Le Lapin Agile existe toujours et continue à mettre à l’honneur la chanson française. Des « veillées musicales » y sont organisées tous les soirs sauf le lundi, entre 21 heures et 1 heure de matin.

Ce billet vous a intéressé ? Vous en voulez plus ? Suivez ou programmez ma conférence-concert sur le quartier de Montmartre ! (En plus, c’est moi qui chante !)

Rubens, Marie de Médicis et la musique

Complétant mes visites chantées de l’exposition Rubens. Portraits princiers au Musée du Luxembourg, je vous propose dans ce billet un « éclairage musical » du cycle sur la vie de Marie de Médicis de Rubens.

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Vue du Cycle sur la vie de Marie de Médicis de Rubens au Musée du Louvre

A l’été 1621, Richelieu prend contact avec Rubens pour lui demander de travailler à la décoration du palais de la reine mère, Marie de Médicis (c’est-à-dire le Palais du Luxembourg). Le peintre se rend à Paris dès le début de l’année 1622, pour discuter de cette commande et signer le contrat : il s’engage à réaliser un cycle sur la vie de Marie de Médicis et un autre sur la vie de Henri IV, son défunt mari. Seul le premier sera achevé.

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Autoportrait de Pierre-Paul Rubens, 1623, Royal Collection Trust

Pour Rubens, le cycle sur la vie de Marie de Médicis constitue une entreprise gigantesque et une véritable gageure. Pour schématiser, il doit réussir, en 24 tableaux, à mettre en valeur la vie controversée de Marie, sans éluder d’épisode majeur… Mais il ne doit pas non plus froisser son fils, le roi Louis XIII. Il faut en effet rappeler que, pour reprendre le pouvoir sur sa mère, Louis XIII l’avait exilée au château de Blois quelques années plus tôt ! Le peintre doit donc faire preuve de diplomatie. Certains médisants ajoutent qu’une autre difficulté de ce cycle tenait dans le fait que la beauté de Marie n’était pas éblouissante… De toute façon, Rubens savait idéaliser les traits parfois disgracieux de ses modèles.

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Portrait de Marie de Médicis, Pierre-Paul Rubens, c. 1622, Musée du Prado (Madrid)

Toujours est-il que le peintre doit s’empresser de terminer le cycle pour 1625 afin qu’il soit inauguré à l’occasion du mariage de Henriette-Marie (fille de, comme son prénom l’indique, Henri IV et Marie de Médicis – et soeur de Louis XIII… logique !) avec le roi Charles Ier d’Angleterre. Créés pour les appartements privés de la reine mère au Palais du Luxembourg, les tableaux du cycle sur la vie de Marie de Médicis sont conservés depuis 1816 au Musée du Louvre.

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La Salle Rubens au Musée du Louvre, Béroud, 1904, Musée du Louvre

Le cycle étant colossal, il serait impossible, dans ce billet, de le traiter dans son intégralité. Aussi me suis-je contenté d’éclairer musicalement 3 œuvres sur 24.

L’Instruction de la reine ou
l’iconographie musicale rubénienne

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L’Instruction de la reine, Pierre-Paul Rubens, 1622-1625, Musée du Louvre

Commençons par L’Instruction (ou « l’Éducation ») de la reine, troisième « épisode » du cycle. La jeune Marie y est instruite par Minerve, avec le prestigieux concours de Mercure (les fans d’Uderzo remarqueront le casque « à la Astérix » !), des trois Grâces et du poète musicien Orphée (certains y voient plutôt Apollon). La musique tient une place importante dans cette œuvre : Orphée ou Apollon joue de la basse de viole et un théorbe est couché sur le sol au premier plan.

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Détail : Orphée (ou Apollon) jouant de la basse de viole
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Détail : théorbe

Il s’agit de modèles princiers : la basse de viole est élégamment ornée de marqueterie et le haut du chevillier est sculpté d’un masque de lion, fauve héraldique de Florence, ville de naissance de Marie de Médicis. Ici, les instruments sont représentés avec précision par Rubens et sans erreur… mais ça n’est pas toujours le cas ! Il a parfois des difficultés à rendre avec exactitude certains instruments. Rubens, semble-t-il, n’est pas musicien (du moins aucun document ne l’indique, contrairement à son élève et collaborateur Jordaens dont on sait qu’il joue du luth).

Voici, justement, deux exemples amusants des « erreurs » de Rubens : Dans son esquisse du Concours entre Apollon et Pan, ce dernier tient sa flûte à l’envers ! Jordaens, qui a copié cette esquisse, n’a d’ailleurs pas hésité pas à corriger l’erreur de son maître dans sa version du tableau.

A sa décharge, Rubens n’était pas le seul à se tromper sur le sens de la flûte de Pan.

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Détail du Jugement de Midas, Jan van den Hoecke, c. 1640, National Gallery of Art (Washington)

Autre erreur musicale du peintre flamand : dans ce Concert d’anges, un ange musicien joue d’un instrument à archet intrigant dont les cordes s’arrêtent sur…. un cordier de guitare !

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Détail du Concert d’anges au verso de Sainte Anne, Pierre-Paul Rubens, 1615-1620, collection du prince de Liechtenstein

Vous me direz : « Il n’avait qu’à se renseigner avant de représenter ces instruments ! » En effet, mais d’aucuns disent qu’il était beaucoup trop « conscient de ses qualités » pour demander conseils à d’autres…

Les Épousailles de la reine ou
la naissance de l’opéra

Dépassons la simple iconographie musicale en nous penchant sur un autre épisode de ce cycle : la cérémonie du mariage par procuration de Marie de Médicis et Henri IV.

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Les Épousailles de la reine, Pierre-Paul Rubens, 1622-1625, Musée du Louvre

Il s’agit d’un véritable événement historique qui a eu lieu le 5 octobre 1600 à Florence.
Henri IV étant occupé à faire la guerre contre le duché de Savoie, c’est l’oncle de la fiancée, le grand-duc de Toscane, qui le remplace devant l’autel, auprès de sa nièce. Rubens, présent lors du mariage, se serait représenté derrière la reine (le personnage qui tient la croix). Au premier plan, Hyménée, dieu du mariage, tient la traîne, accompagné d’un chien, symbole de fidélité. Les célébrations de ce mariage ont considérablement marqué l’histoire de la musique : le plus ancien opéra de l’histoire qui nous soit entièrement parvenu a été créé pour cette occasion. Il s’agit de l’Euridice de Jacopo Peri. Comme le titre l’indique, l’histoire est celle d’Orphée, poète musicien de Thrace et Eurydice : un sujet particulièrement bienvenu pour un mariage puisque le couple constitue le symbole d’un amour bravant la mort. J’ai justement interprété un extrait de la première scène de ce premier opéra, dans le cadre de ma visite chantée de l’exposition Rubens. Portrait princiers au Musée du Luxembourg. Le texte résonne d’une manière toute particulière quand on sait que l’œuvre a été créée pour fêter le mariage de Henri IV et Marie de Médicis.

Et que, par ces magnifiques contrées fleuries, résonnent joyeuses voix et joyeux chants.
Aujourd’hui, à la plus grande beauté, un saint Hyménée joint la plus grande valeur.
Heureux Orphée, Fortunée Eurydice,
Enfin, le ciel vous réunit : ô jour heureux !

Deux petites anecdotes sur cette représentation du 6 octobre 1600 au Palais Pitti. Peri (le compositeur) a probablement interprété lui-même le rôle d’Orphée. Plus amusant encore : Caccini, compositeur « rival » de Peri, également auteur d’un opéra sur l’Euridice en 1600, réussit à faire remplacer certains airs de l’œuvre de Peri par des pièces de sa main, sous le prétexte que certains de ses élèves chantant à cette représentation ne pourraient chanter que des morceaux écrits spécialement pour eux par leur professeur de chant !

Le Débarquement de la reine à Marseille
ou la lutte contre les clichés

Pour finir sur une touche légère, admirons une partie du premier plan du Débarquement de la reine à Marseille.

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Détail du Débarquement de la reine à Marseille, le 3 novembre 1600, Pierre-Paul Rubens, 1622-1625, Musée du Louvre

Cette toile suit, selon l’ordre du cycle, celle représentant Les Épousailles de la reine que je viens d’évoquer. Mêlant histoire et allégorie, elle symbolise l’accueil fait à Marie par la France après son mariage.

Les joies de l'ínondation (dans la Galerie Médicis)
Détails des Joies de l’inondation (dans la Galerie Médicis), Louis Béroud, 1910

Comme Louis Béroud dans Les joies de l’inondation, beaucoup ont vu – et voient toujours ! – en Rubens, presque exclusivement, le peintre des corps féminins opulents et des chairs roses aux reflets bleutés. C’est justement l’image de l’art de Rubens véhiculée par le compositeur Offenbach et ses librettistes Meilhac et Halévy dans leur opéra-bouffe de 1866 intitulé Barbe-bleue. Le personnage éponyme y décrit une femme bien en chair en s’exclamant : « C’est un Rubens ! »

J’espère que l’exposition au Musée du Luxembourg ainsi que, plus modestement, mes visites chantées et ce billet permettront à de nombreuses personnes d’aller – contrairement à notre cher Offenbach ! – au-delà des clichés sur Rubens…

L’exposition Rubens. Portraits princiers est ouverte jusqu’au 14 janvier 2018. Vous avez raté mes visites chantées ? Je les ai déclinées en format « conférence-concert »… N’hésitez donc pas à me contacter pour y assister ou en organiser une !